«
Rus’ descend ! Tu sais que je peux pas monter. » Je laissais tomber ma tête dans le vide, gardant mes jambes bien suspendu après la branche de l’arbre. Wilma poussait un petit cri en me voyant, ce qui déclenchait aussi mon hilarité. J’avais toujours été le plus aventurier de nous deux, j’étais aussi celui qui se faisait le plus mal. Je la regardais, alors que mes lunettes tombaient et qu’elle les rattrapait aussitôt. «
Merci. » Là je devais bien admettre que si je ne descendais pas, j’allais rester percher sur cet arbre sans savoir comment y descendre. J’avais toujours eu de la difficulté avec ma vision et sans lunette j’allais facilement me retrouver dans une situation embarrassante. J’entendais alors le bruit qu’on ne désir jamais entendre, je voulais m’agripper à la première chose que je voyais, mais trop tard. Dans un crac sonore, la branche se brisa et je m’étalais sur le sol regardant ma sœur au-dessus de moi. «
T’es trop con ! » Je riais de plus belle, la chute n’avait pas été si haute et je n’avais pas mal, mais à dix ans on est à toute épreuve ! Je me relevais, remettant mes lunettes sur mon nez. Elle me jetait un regard d’exaspération, me tendant un billet de vingt. «
Maman a dut aller travailler, elle a dit qu’on pouvait s’acheter ce qu’on voulait pour dîner. » Je prenais l’argent tout en me pinçant les lèvres. Contrairement à bien des enfants de mon âge, moi et Wilma, on devait souvent de débrouiller seuls. Notre père nous avait quittés, alors qu’on avait que deux ans. Je dois dire je n’ai aucun souvenir de lui. Donc elle enchaînait les petits boulots pour subvenir à nos besoins en dehors de son emploi principal. Je prenais la main de ma jumelle, nous n’étions pas identiques, mais ça nous importait peu. Marchant dans les rues de Manhattan, on parlait de tout et de rien jusqu’à aboutir devant un mcdo. «
Ça te va ? » Elle me faisait oui de la tête et je poussais la porte pour que nous rentions. J’essayais toujours de commander raisonnablement, mais étant un gros mangeur même à dix ans, j’avais du mal. Pourtant, je savais qu’on ne devait pas gaspiller l’argent ainsi. Assis à une table, je mangeais tout en faisant le pitre. Je ne savais faire que cela après tout, mais bon voilà, on ne change pas si facilement. Au moins, j’avais le mérite de faire rire ma sœur et ça me suffisait. Je savais comment ça pouvait l’inquiéter le fait qu’on soit laissé à nous même, mais au moins on n’était pas seul. Elle me tendait ses restants et comme un aspirateur j’engloutissais le tout. On ne restait pas bien longtemps assis dans ce fastfood, valait toujours mieux rentrer. La journée touchait à sa fin et le soleil ne tardait pas à se coucher quand on franchissait le porche de notre immeuble. Je voyais Wilma pousser un bâillement tandis qu’on montait les marches pour arriver sur notre pallier. Une porte s’ouvrit et je tournais la tête pour regarder la voisine. Une femme à l’allure fantomatique, mais elle restait gentille. Enfin, tant que je n’entrais pas chez elle. L’odeur de son appartement me levait bien vite le cœur, sans parler de ses milliers de chats. «
Vous voulez manger les enfants. » Je souriais, je n’allais tout de même pas être impoli, bien que franchement je n’aime pas particulièrement sa nourriture. En plus, j’avais peur qu’elle nous donne les cannages de ses chats ! «
On a mangé, merci. » Elle nous souriait. «
Ne vous gênez pas si vous avez besoin de quoique ce soit. » Je la remerciais une nouvelle fois, avant d’entrer chez moi à la suite de Wilma. Comme ces soirs où notre mère n’était pas là, on s’installait devant la télé pour regarder tout ce qu’on n’avait pas le droit de regarder. Et c’est en peu de temps qu’on s’endormait, tête contre tête en se tenant toujours la main.
Assis à Central Park, je tenais entre mes mains le seul souvenir que j’avais de mon père. Ma mère m’avait déjà dit que c’était un musicien reconnu, mais je n’avais jamais trouvé ses albums. En plus, qui pourrait être reconnu en jouant du violon ? C’était la question que je m’étais souvent posé avant d’en jouer à mon tour. Ma mère m’avait montré comment tenir l’archet et livré à moi-même, j’avais appris à en jouer. Au début, les notes étaient insupportables. On aurait dit un chat la queue prise dans la porte. J’avais longtemps cru que je finirais sourd avant de savoir en jouer, mais finalement je m’étais amélioré et j’en étais fière. Aujourd’hui, je joue même sans partition. J’allais me réfugié dans le parc parmi toute cette verdure pour laisser naître la mélodie en moi. Je regardais les joggeurs matinaux, tout en prenant mon archet je laissais les notes exprimer ce moment paisible. Fermant les yeux, je me laissais m’envahir par la symphonie. «
Rus’ ! » J’ouvrais les yeux, relevant la tête pour voir Wilma qui me regardait les mains sur sa taille. «
Tu viens sinon tu vas manquer les cours ! » Contrairement à ma sœur, j’étais plus facile à sortir du lit. Et puis, ça me permettais de venir ici pour pratiquer. Je rangeais mon instrument dans son étui, me levant pour la suivre. Elle s’était déjà mise en chemin et alors qu’elle arrivait sur le trottoir, je voyais le bus scolaire passer devant elle. Je me mettais aussitôt à courir pour rattraper celui-ci, mais j’arrivais trop tard. Il avait embarqué Wilma, mais pas moi. Pestant, je me mettais à courir derrière celui-ci tel Peter Parker dans Spiderman, seulement j’avais pas les pouvoirs de l’araignée. Tenant mon étui d’une main, je faisais signe à l’autobus de s’arrêter. Derrière celui-ci, je voyais des amis de ma sœur rire aux éclats. On avait beau avoir passé quinze années de notre vie ensemble, aujourd’hui pour moi et Wilma c’était différent. Elle avait fait le choix de devenir populaire, tandis que moi je me concentrais sur mes jeux virtuels et ma musique. Je ne lui en tenais pas rigueur, après tout on n’allait pas rester collé comme des aimants toute notre vie. Elle faisait son chemin et moi le mien, sachant mutuellement qu’on serait toujours là l’un pour l’autre. L’autobus s’arrêtait finalement, seulement mon regard s’était porté sur une fille marchant sur le trottoir. Sa poitrine rebondissait au gré de ses pas. N’ayant pas capté l’arrêt du véhicule que je coursais, je rentrais dans celui-ci de plein fouet. Projeter sur le sol par l’impact, je regardais autour de moi, laissant des rires résonner autour de moi. Je poussais un soupire, me dirigeant vers la porte que le chauffeur ouvrait. «
Arrêtez quand on vous le demande vous savez pas faire ? » J’étais un peu remonté, mais surtout contre moi. Passant entre les sièges, je croisais le regard de Wilma. Inutile de dire qu’elle évitait le mien, et je prenais place à côté d’une rouquine qui me souriait. Je la regardais poussant un soupire. «
Sans commentaire veux-tu. » Me passant une main dans les cheveux, je replaçais mes lunettes sur mon nez. Elle émettait un rire et je me mettais aussitôt à sourire.